Dans ses célèbres Essais, Michel de Montaigne, philosophe humaniste de la Renaissance, adopte une approche sceptique unique pour explorer les questions fondamentales de la connaissance et de la vérité. À travers ses réflexions personnelles et ses observations sur la nature humaine, Montaigne remet en question les certitudes dogmatiques de son époque et invite ses lecteurs à adopter une attitude critique envers le savoir établi.
Montaigne utilise ainsi la perspective du scepticisme pour sonder les profondeurs de la connaissance humaine et remettre en question les prétentions à la vérité absolue.
Le scepticisme chez Montaigne
Montaigne est souvent décrit comme un philosophe sceptique, mais sa position n’est pas simplement une négation de toute connaissance ou vérité. Au contraire, Montaigne adopte une attitude de doute méthodique qui vise à mettre en lumière les limites de la raison humaine et la relativité de nos croyances. Dans ses Essais, Montaigne écrit :
“Nous ne sommes rien que mensonge, que vanité, que fumée, que vent, que songe.”
Essais
Montaigne met également en évidence la fragilité de la raison humaine et la propension de l’homme à l’erreur et à l’illusion. Dans son essai “De l’expérience“, il souligne les limites de la connaissance basée sur la perception sensorielle, met en garde contre les dangers de la confiance excessive en nos sens et notre raison et souligne l‘importance de la prudence et du doute méthodique dans la quête du savoir.
Montaigne rejette ainsi toute prétention à une connaissance absolue ou à une vérité universelle. Il invite ses lecteurs à reconnaître l’incertitude fondamentale qui entoure nos jugements et nos opinions.Exploration des limites de la connaissance
Pour Montaigne, le scepticisme est un outil précieux pour explorer les limites de la connaissance humaine. Dans ses Essais, il examine les erreurs et les illusions qui peuvent survenir lorsque nous prétendons posséder une certitude absolue. Il écrit :
“Chacun dit que la certitude de l’opinion consiste en ce que nous ne doutons pas de sa vérité.”
Essais
Pour illustrer son propos, Montaigne souligne l’instabilité et la relativité des jugements humains à travers des anecdotes de sa propre expérience.
Dans son essai “Des cannibales”, il relate ainsi une rencontre avec des Indiens d’Amérique du Sud et met en doute les prétentions des Européens à une supériorité morale et culturelle. Cette observation remet en question les certitudes établies de son époque et invite ses lecteurs à remettre en question leurs propres préjugés.
Montaigne souligne ainsi le danger de l’arrogance intellectuelle et encourage ses lecteurs à maintenir une attitude de modestie face à leurs propres connaissances. Il met en garde contre le risque de se laisser emporter par les illusions de la certitude et souligne l’importance de rester ouvert à la remise en question et à la réévaluation constante de nos croyances.
Remise en question des prétentions à la vérité absolue
En remettant en question les prétentions à la vérité absolue, Montaigne invite ses lecteurs à adopter une approche plus nuancée et tolérante envers les opinions divergentes. Dans ses Essais, il écrit :
“Chacun appelle barbarie ce qui n’est pas de son usage.”
Essais
Montaigne souligne ainsi la relativité des normes culturelles et morales, et il met en garde contre le danger de juger les autres à l’aune de nos propres préjugés. En adoptant une perspective sceptique, Montaigne invite ses lecteurs à cultiver un esprit d’ouverture et de curiosité envers les différentes perspectives et à reconnaître la complexité et la diversité de l’expérience humaine.
Dans ses Essais, Montaigne explore par exemple la diversité des coutumes et des croyances à travers des exemples tirés de différentes cultures et époques. Par exemple, dans son essai “Des coches”, il compare les pratiques des civilisations européennes et amérindiennes pour souligner la relativité des normes morales et sociales. Cette approche comparative met en lumière les limites de la prétention à une vérité universelle et encourage une attitude de tolérance et d’ouverture envers les différences culturelles.
Montaigne utilise la perspective du scepticisme pour explorer les questions de connaissance et de vérité d’une manière profondément originale et stimulante. En remettant en question les certitudes dogmatiques et en soulignant les limites de la raison humaine, Montaigne nous invite à adopter une attitude de doute méthodique et de modestie intellectuelle. Dans un monde où les prétentions à la vérité absolue sont souvent utilisées pour justifier l’intolérance et l’oppression, la leçon de Montaigne demeure pertinente : il est essentiel de maintenir une attitude de scepticisme critique et de rester ouvert à la diversité des opinions et des expériences humaines.
Sources :
Montaigne, Les Essais – “Une nouvelle édition des Essais s’imposait, non pas ” modernisée ” et encore moins ” traduite en français moderne “, mais rajeunie et rafraîchie, pour rendre enfin accessible l’oeuvre du plus contemporain de nos classiques, le seul qui sache allier savoureusement des réflexions sur l’amour, la politique, la religion, et des confidences plus intimes sur sa santé ou sa sexualité.
L’objectif de cette monumentale entreprise conduite par Bernard Combeaud, avec le concours de Nina Mueggler, est d’offrir des Essais restaurés et revitalisés, à partir de l’édition de 1595, pour que chacun puisse s’entretenir commodément avec un écrivain aux idées foisonnantes, salué par Stefan Zweig comme ” l’ancêtre, le protecteur et l’ami de chaque homme libre sur terre “.
Les traductions du grec et du latin sont toutes originales, les notes ont été réduites au minimum. Seules la ponctuation, l’accentuation, l’orthographe ont été systématiquement modernisées dans le souci constant de préserver la saveur originelle d’une langue si singulière, de préserver les images, les jeux de mots, les idiotismes gascons ou latinisants propres au style de Montaigne.”
Philippe DESAN – La modernité de Montaigne . Un ouvrage de référence. On lit souvent Montaigne comme une sorte de contemporain, déjà moderne par-delà les siècles. Mais qu’est-ce au juste que la modernité de Montaigne ? Rien de moins, peut-être, que l’invention de la modernité, c’est-à-dire d’une manière d’être soi et de se peindre dans son temps – parfois pour fuir les vicissitudes du monde en se réfugiant dans l’écriture de soi qui donne naissance à l’intériorité moderne. C’est ce que suggère Philippe Desan dans ce nouveau livre, dernier volet d’une trilogie qui a changé notre regard sur un écrivain qui paraît si familier qu’on cède facilement à la légende qu’il a lui-même forgée dans ses Essais. Existe aussi en version Kindle.